Une nuit @thecallcenter
Publié jeudi 2 octobre 2008
Dernière modification vendredi 8 mai 2015
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Une nuit @thecallcenter nous fait pénétrer dans le monde des centres d’appel téléphoniques que les entreprises occidentales ont délocalisés en Asie. Avec ce roman, nous vivons une nuit d’une équipe de téléconseillers travaillant pour Connexion, société installée à Gurgaon dans la banlieue de New Delhi et qui assure le service après-vente de Western, fabriquant américain d’ordinateurs et d’appareils électroménagers.
Le petit groupe est constitué de six personnages. L’histoire est racontée au travers de Shyam Mehra, rebaptisé Sam Marcy pour ne pas perturber les clients américains, responsable de l’équipe. C’est un ancien concepteur de sites internet qui a dû se reconvertir car la petite entreprise dans laquelle il travaillait a fait faillite. Il a eu une relation sentimentale avec Priyankha, jeune femme indépendante qui travaille à Connexion pour se constituer un pécule et ainsi reprendre des études d’institutrice. Sa mère, avec laquelle elle a des relations orageuses, lui fait du chantage affectif pour qu’elle fasse un ’’bon’’ mariage, c’est à dire pour qu’elle épouse quelqu’un qui a une meilleure situation que celle de Shyam. ’’Vroom’’, l’ami de Shyam, est passionné de sports mécaniques ; il a dû renoncer à une carrière de journaliste car son honnêteté dérangeait. Esha, la jolie fille de la bande, a quitté Chandigarh pour la capitale afin de devenir mannequin. Mais la concurrence est rude et le monde de la mode impitoyable pour une jeune fille seule. Radhika, en se mariant par amour à Anuj, est entrée dans une famille très traditionnelle ; sa belle-mère la tyrannise et se plaint constamment à son fils du manque de dévouement de sa bru. Enfin, à ces cinq jeunes gens vient s’ajouter ’’Tonton-garde-à-vous’’, cinquantenaire retraité de l’armée qui vit seul depuis que son fils l’a mis à la porte.
L’équipe de Shyam travaille pour le secteur électroménager, c’est à dire avec les clients les moins ’’éveillés’’. Cela lui vaut parfois de devoir régler des situations d’un comique complètement ubuesque comme celle de cette ménagère qui se plaint d’une décharge électrique après avoir démonté son four car sa dinde était trop grosse pour y entrer et qu’elle ne voulait pas la découper ! Pour rester aimables, patients et polis, les téléconseillers ont suivi une formation dont le principe de base est ’’35=10’’ : le cerveau et le QI d’un Américain de 35 ans équivalent à ceux d’un Indien de 10 ans. Mais parfois la situation est moins drôle, certains interlocuteurs n’appelant que pour déverser leur bile raciste.
Et par cette nuit de Thanksgiving une menace plane : l’activité du call-center est en baisse et des rumeurs de licenciements circulent. Cependant, pour Shyam, cela n’est pas le plus grave, ce qui le préoccupe vraiment est l’annonce des fiançailles de Priyanka à un NRI installé à Seattle et qui répond en tous points aux souhaits de la mère de son ex.
La première qualité de ce roman est son humour. J’ai plusieurs fois ri aux éclats en lisant les remarques saugrenues des clients ou en essayant de démêler le salmigondis managérial du directeur qui essaie de cacher son incompétence derrière des mots et des concepts auxquels lui même ne comprend rien. Il y a également Shefali, la nouvelle (pseudo) petite amie de Shyam, pour qui le monde se divise en deux : ce qui est mimi et ce qui n’est pas mimi. Parfois on se trouve en terrain connu comme avec cette photocopieuse ’’à l’âme psychotique et à l’attitude revêche’’, grande spécialiste des bourrages, qui essaie sournoisement d’étrangler Shyam en avalant le badge qu’il porte en sautoir.
Mais ce roman n’est pas qu’une aimable comédie, il est plus profond qu’il n’y paraît et derrière le ton humoristique et les situations rocambolesques se cache une réalité sociale parfois douloureuse.
On remarque tout d’abord qu’aucun des personnages n’est entré à Connexion par véritable choix, chacun a une passion ou une vocation qu’il a mis en sommeil pour un salaire et une situation sociale, mais ce renoncement leur pèse. Il sont tous convaincus que leur situation est relativement enviable et qu’entre autres elle leur permet d’avoir accès à ces biens de consommation qui leur font tellement envie, mais qui en définitive les aliènent.
Ensuite apparaît le fossé entre les générations : Shyam et ses amis sont des jeunes gens modernes qui aspirent à une vie épanouie, une profession intéressante et une vie amoureuse. Ils sont confrontés à un entourage familial qui exige d’eux qu’ils respectent les traditions et se soucie peu de leur aspiration au bonheur.
Enfin, en tant que salariés d’une entreprise sous-traitante délocalisée, ils sont taillables et corvéables à merci ; on peut s’en débarrasser quand on veut, avec la complicité des cadres locaux.
Progressivement, et toujours dans la joie et la bonne humeur, ils se rendent compte qu’ils sont perdants sur tous les tableaux. Mais la belle équipe reçoit un appel téléphonique d’un correspondant hors du commun, qui pour une fois ne demande pas un conseil, bien au contraire…
Certes, ce roman n’est pas un chef-d’oeuvre de la littérature, les situations sont trop caricaturales et les personnages trop archétypaux pour atteindre une véritable profondeur. Mais l’humour qui porte le récit et cette bande de jeunes gens terriblement attachants m’ont fait passer un bien agréable moment.
Titre : Une nuit @thecallcenter
Année de parution : 2007
Auteur : Chetan Bhagat
Titre original : One night @thecallcenter (2005), traduit de l’anglais par Claire Breton
Editeur : Stock, 332 p. avec le glossaire
Un grand merci à Edoli pour cet article !