L’avis de Seji :
Il y a selon moi sept réalisateurs qui sont aujourd’hui les joyaux du cinéma tamoul : Mani Ratnam, Bala, Selvaraghavan, Gautham Vasudev Menon, Ram, Vetrimaran et enfin Mysskin (j’évoquerai les réalisateurs de la « Nouvelle génération » une autre fois).
Mysskin est celui qui est le plus orienté vers un cinéma teinté de pop culture.
Fan de cinéma asiatique (Kurosawa) et de littérature russe (Dostoïevski ; pour la petite histoire son nom d’artiste vient du roman L’idiot son vrai nom étant Shanumuga Raja), il nous a délivré des œuvres de genre plus étonnantes les unes que les autres. Chacune étant un succès autant auprès de la critique que du public. Il est l’auteur d’un film d’horreur Pisaasu, d’une adaptation du film de Kitano, Kikujiro, intitulée Nandalala, un film de super-héros Mugamoodi, un film de gangsters Chithiram Pesuthadi, un film noir Onaayum Aattukkuttiyam.
Son film le plus percutant, et mon préféré, est sans aucun doute Anjathe. Polar brillamment écrit, dans lequel le style de Mysskin va éclore et imprégner sa filmographie. L’exercice sera renouvelé avec Yuddham Sei, autre film policier, avec une ambiance bien « mysskienne ». Disons-le, il a un goût particulier pour les enquêtes ténébreuses, poisseuses ; lui permettant de sonder la noirceur de l’âme humaine avec des personnages de flics bien endurcis et torturés. Il nous présente, presque avec évidence, son 8ème film : Thupparivaalan.
Thupparivaalan signifie « Détective privé » en langue tamoule. Qui est le détective privé le plus célèbre de l’histoire de la littérature et du cinéma, si ce n’est celui créé par Sir Conan Doyle ?
Le personnage principal, interprété par Vishal (également producteur ici), se nomme Kaniyan Poongundran. Il n’est autre que le légendaire Sherlock Holmes.
L’enquête démarre avec une série de meurtres dont les victimes ne semblent pas reliées. Kaniyan, dans un besoin de challenge intellectuel, refuse les enquêtes qui s’offrent à lui malgré les conseils avisés de son assistant Mano (ou faut-il dire Dr Watson ?), joué par Prasanna. Il va néanmoins en accepter une, banale en apparence : celle d’un chien mort, pour le compte du jeune propriétaire de celui-ci venant le solliciter. Le jeu de pistes, exalté et exaltant, démarre. Dans un rythme effréné, il nous emmène à la découverte d’une multitude de personnages, d’indices, de twists, d’arts martiaux et d’éléments physico-chimiques redonnant ses lettres de noblesse au film de détective. Bien sûr, les pièges seront nombreux et la romance que vivra Kaniyan avec Mallika, joué par Anu Emmanuel, sera aussi brève que nerveuse. Le tout ponctué par quelques moments drôles.
J’admets ne pas être un grand fan de Vishal, n’ayant apprécié que très peu ses films (Sandakozhi, Avan Ivan, Pandiya Naadu et Naan Sigappu Manithan). Je me suis demandé, à l’annonce du projet, pourquoi le réalisateur l’avait choisi lui ? Avec du recul, je me rends compte qu’il est surprenant de le voir dans ce rôle de composition, reprenant le maniérisme et le look d’un Sherlock Holmes (on pense évidemment à Robert Downey Jr) ; mais aux couleurs et tempérament bien indiens.
Kaniyan intervient dans les conflits dont il est témoin, donne du travail, prend au sérieux son rôle de moralisateur et « redresseur de torts ». En parallèle, ses autres facettes de justicier sociopathe et mystérieux sont brillamment portées à l’écran. Ses rapports avec Mano et Mallika sont savoureux et denses à la fois. Les rôles secondaires sont de qualité. Vinay est utilisé à contre-emploi. On retient la qualité du doublage. Simran est la 1ère image du film et cela fait plaisir de la voir à l’écran. Idem pour Andréa qui joue un rôle aux antipodes de son film Taramani. Mais celui qui m’a surpris, en étant d’ailleurs méconnaissable lorsqu’on le voit apparaître à l’écran, c’est le réalisateur – comédien : K.Bagyaraj.
Je n’en dis pas plus. Chacun appréciera sans aucun doute sa contribution au film.
Et Mysskin derrière tout ça ? Comme dit antérieurement, sa patte est présente sur tout le film. Il est accompagné du chef opérateur Kartick Venkatraman et du compositeur Arrol Corelli ; dont la participation donne une touche visuelle et musicale originales au film.
Les 150 minutes nous tiennent en haleine. Le suspense est à son comble dans les vingt dernières minutes du film, avec un climax tourné de manière audacieuse dans les fins fonds de la mangrove à Pichavaram. Plusieurs plans portent la signature du réalisateur. Moins de plans au sol obscurs comme il les adore, mais au contraire plus de plongées/contre-plongées éclairées qui apportent une tension au film et de la profondeur aux personnages.
Le plan de Mallika calqué sur l’œuvre de La laitière de Jan Vermeer, les plans plus sanglants du restaurant chinois ou avec la tronçonneuse, signent une inspiration qu’on ne voit que très rarement au cinéma. Autrement dit, la réalisation est soignée, inspirée et s’approprie fidèlement les codes du thriller policier. Il y a une tradition littéraire et cinématographique du polar en Inde et on peut constater, en toute confiance, qu’il se porte bien vu les succès récents de Thani Oruvan, Thuruvangal Paadinaru ou Vikram Vedha que je vous conseille vivement.
En conclusion, Hats off Mysskin ! Quel plaisir de voir une œuvre divertissante, qui respecte l’intelligence du spectateur et réussit à capter son attention pendant toute sa durée. Mysskin a parlé de franchise et je dis « Oui ! » si une suite est prévue, étant donné le travail d’orfèvre.