Shree 420
Traduction : Monsieur 420
Langue | Hindi |
Genre | Comédie |
Dir. Photo | Radhu Karmarkar |
Acteurs | Raj Kapoor, Nargis, Nadira, Nemo, Lalita Pawar |
Dir. Musical | Shankar-Jaikishan |
Parolier | Shailendra |
Chanteurs | Lata Mangeshkar, Asha Bhosle, Mohammad Rafi, Manna Dey, Mukesh |
Producteur | Raj Kapoor |
Durée | 177 mn |
Autant vous mettre au courant dès le début de la chronique, Shree 420 (comprenez "Monsieur l’escroc", le numéro 420 faisant référence dans le code pénal indien à tout ce qui se rapporte à l’escroquerie) est un pur chef-d’œuvre hindi, un bijou de l’âge d’or du cinéma indien qui fait littéralement partie du patrimoine culturel du pays… et des pays de l’ex-URSS !
Raj est un jeune diplômé d’Allahabad qui décide de partir à la ville, pour trouver un bon travail. Il parcourt les chemins, insouciant, avec un petit balluchon, son précieux diplôme en poche et une médaille d’honnêteté qu’il a remporté étant enfant. Arrivé à Bombay, plein d’espoir et de naïveté, il se heurte à la dure réalité de la vie, son diplôme n’a aucune valeur, il est difficile de trouver un emploi. Sa route croise alors une bande de mendiants et de travailleurs pauvres qui le prennent sous leur aile. Son cœur trouve bientôt le chemin de celui de Vidya, jeune et douce institutrice. Pourtant, il va vite faire la rencontre d’un gangster local, Seth Dharmanand, et d’une jeune femme qui se révélera une véritable tentatrice, Maya. Raj se tourne alors vers le jeu, les fraudes et l’amour illusoire de Maya pour atteindre ce qu’il pense être son objectif.
Shree 420 est une œuvre avant tout symbolique, empreinte d’un message national(-iste ?) intéressant ne faisant pas toujours dans le subtil, il faut le reconnaître. Le passage de Raj de sa province à l’univers impitoyable de la grande ville est une métaphore à peine voilée des changements par lesquels passe l’Inde à la suite de son indépendance, et de l’évolution du pays traditionnel vers un gouvernement et une économie beaucoup plus modernes. Raj est pris entre deux feux, son amour pour Vidya (qui personnifie « la connaissance ») et son attirance pour Maya (« l’illusion »). Il se laisse avoir par la facilité du jeu et de la fraude qui rapportent de l’argent rapidement, mais qui l’éloignent peu à peu de son bonheur et pervertissent le modèle d’honnêteté qu’il était. Le film oppose deux visions, celle de l’innocence, de la pureté de la société traditionnelle représentée par Vidya, et les affres du capitalisme à outrance et des charmes illusoires d’une vie à l’occidentale représentés par Maya, montrant un Raj à plusieurs visages. C’est d’ailleurs là un autre des thèmes abordés, les hommes ne sont jamais réellement ce qu’ils montrent, ils portent souvent des masques pour coller à un personnage en adéquation avec leur environnement.
Shree 420 peut aussi être compris comme une ode aux hommes ordinaires qui donnent de leur personne, suent sang et eau pour bâtir ensemble la future société indienne, mais est surtout une brillante analyse de la nécessité de l’éducation pour tous. En effet, Raj triche, ment et fait du mal « aux siens », pas par méchanceté pure, simplement par appât du gain, attiré par l’illusion (Maya). Après avoir vécu une expérience forte, il se tourne vers la connaissance (Vidya), seule capable d’éloigner l’humain de sa part d’ombre et de violence.
Cependant réduire Shree 420 à un exercice de style ne rendrait pas justice au côté plus divertissant totalement voulu et assumé par le réalisateur. Raj Kapoor est tellement drôle lorsqu’il pousse le personnage de Charlot dans le comique, ses expressions, son langage corporel font rire, tout autant que les excellents dialogues. Nargis prouve encore et toujours qu’elle est l’une des plus grandes, d’une beauté autant à couper le souffle que le noir et blanc sublime, formant avec Raj Kapoor l’un des premiers couples de légende dans le cinéma indien, à l’alchimie indéniable.
Rendez-vous compte, 54 ans après, toutes les chansons de Shree 420 sont encore populaires et fredonnées dans les transports, aux champs, dans les embouteillages, sous la douche, de l’Inde jusqu’en Russie en passant par l’Arménie où Raj Kapoor jouit d’une énorme popularité (ses films ayant été les rares autorisés à être diffusés en Union Soviétique).
Chaque pièce musicale est un petit chef-d’œuvre du duo Shankar-Jaikishan que viennent souligner de superbes images. Les différents styles permettent à chacun des chanteurs, Lata Mangeskar, Asha Bhosle, Mukesh (le chanteur « officiel » de RK dans la plupart de ses films) et Manna Dey, d’exceller dans leur art. On passe d’une adorable comptine pour enfants Ichak dana, faisant rire aux éclats devant l’espièglerie de Raj et nous dévoilant le don de Nargis pour le dessin, à l’une des plus belles chansons d’amour du cinéma, Pyaar hua iqraar hua, durant laquelle Raj Kapoor et Nargis, sous leur fameux parapluie noir, incarnent LE couple par excellence.
Mais c’est véritablement Mera Joota hai Japani qui est devenue la chanson la plus emblématique du film, celle qui a séduit toute l’Inde pour son message nationaliste, clamant que si les chaussures sont japonaises, le pantalon anglais et le chapeau russe, le cœur, lui, est bel et bien indien ! Cette dernière partie du refrain a d’ailleurs servi de titre au film d’Aziz Mirza réunissant SRK et Juhi Chawla, Phir bhi dil hai Hindustani.
Shree 420 a complètement marqué son époque, et inspiré bon nombre de films commerciaux par la suite, comme par exemple Raju ben gaya gentleman avec le Shah dans le rôle principal, ou encore Bas itna sa khwaab hai avec Abhishek Bachchan (loin d’être un chef-d’œuvre…). Mais avant d’inspirer, ce film permet de comprendre l’amour et la passion du réalisateur Raj Kapoor pour le cinéma hollywoodien auquel il fait référence assez souvent. Le personnage de Raj qui revient régulièrement dans ses films comme dans Awaara par exemple, est une relecture indienne du Charlot de Charlie Chaplin mâtinée du charme d’un Cary Grant, sans oublier l’influence notoire de Frank Capra dans toutes ses œuvres.
Si vous n’avez pas encore vu Shree 420, ne perdez plus de temps à lire cet article et courez vous en procurer un exemplaire sur-le-champ, car des films comme ça, on n’en fait malheureusement plus aujourd’hui.