Sholay
Traduction : Les Braises
Langue | Hindi |
Genres | Film d’action, Masala |
Dir. Photo | Dwarka Divecha |
Acteurs | Amitabh Bachchan, Jaya Bachchan, Hema Malini, Dharmendra, Amjad Khan, Sanjeev Kumar |
Dir. Musical | R. D. Burman |
Parolier | Anand Bakshi |
Chanteurs | Lata Mangeshkar, Kishore Kumar, Manna Dey, Hema Malini, R. D. Burman |
Producteur | G.P. Sippy |
Durée | 190 mn |
Les secrets du film-culte qui révolutionna le cinéma indien
Un ancien officier de police devenu Thakur (grand propriétaire terrien) engage deux jeunes voleurs durs à cuire sympathiques et chevronnés, pour attraper un cruel bandit de grand chemin qui sévit dans la région. Telle est la trame initiale de Sholay, western-curry sorti en Inde en 1975 et énorme succès commercial au box-office, provoquant par la même occasion un impact retentissant sur l’industrie du cinéma populaire indien jusqu’à aujourd’hui.
Son scénario est inspiré du film Les Sept Mercenaires, lui-même, remake américain du chef-d’œuvre d’Akira Kurosawa Les 7 Samouraïs. Ramesh Sippy, le réalisateur de Sholay, grand fan du réalisateur italien Sergio Leone, se permet également de plagier plan par plan des scènes du célèbre film du maître italien : Il était une fois dans l’Ouest. Le chef-d’œuvre de John Ford de 1939, intitulé Stagecoach mais plus connu en France sous le titre de La chevauchée fantastique, a également influencé Ramesh Sippy, même si cette influence-ci ne se voit pas vraiment à l’écran. Sholay qui peut être traduit par « flammes du soleil » ou « boule de feu » illustre, à lui tout seul, le cinéma populaire indien, dit cinéma Masala.
Le Masala est initialement utilisé dans la cuisine indienne. C’est un ingrédient sous forme de poudre, composé de plusieurs épices. C’est ce qui lui donne une telle richesse et c’est une des principales raisons qui expliquent pourquoi il est utilisé dans la plupart des plats indiens afin de relever le goût et la saveur..
Le film Masala est donc un plat riche et qui se veut complet de par la diversité des intrigues, la variété et le nombre de ses chansons populaires, des décors, le nombre et l’intensité des scènes d’actions spectaculaires, l’intensité des scènes dramatiques, la passion de la relation amoureuse ultra romantique et esthétique, l’humour basique et burlesque, des personnages secondaires attachants, amusants ou détestables, la perfection du héros (faisant souvent référence aux incarnations du Dieu Vishnu symbole de la justice et de l’équilibre) et de l’héroïne (qui se doit d’être la femme idéale, souvent en référence aux déesses Sita, Parvathi Radha, ou Draupadi), l’abominable méchant doit être parfaitement réussi pour le succès du film. Il fait également référence au démon de la mythologie hindoue, soit par son nom, son apparence, ou son comportement, qui conduit parfois à une certaine caricature de ce personnage primordial.
Les autres éléments utilisés dans les films Masalas sont les thèmes de l’unité familiale ou de l’histoire d’amour impossible.
On retrouve également le thème du patriotisme, de la critique sociale (corruption, injustice sociale, et interdits liés à une tradition trop présente) et du combat du bien contre le mal fortement inspiré des sagas mythologiques hindoues du Ramayana ou du Mahabharata. Cela permet généralement d’obtenir un climax explosif, percutant et spectaculaire pour le plus grand bonheur du public indien qui en raffole.
Enfin ce qui caractérise à première vue, les films masala, réside dans la dose d’exagération à tous les niveaux et à différents degrés selon les films et le choix des réalisateurs. L’exagération ne fait pas peur au réalisateur ou au producteur indien car il sait très bien que les spectateurs en veulent pour leur argent et veulent en prendre plein la vue. C’est justement cette dose d’exagération, avec la présence des chansons, qui déconcertent généralement le spectateur occidental qui n’y est pas du tout habitué et qui pense à tort qu’un film commercial indien ne se limite qu’à une histoire d’amour impossible du genre Roméo et Juliette.
Bien sûr tous ces éléments qui composent le cinéma Masala, ne sont pas systématiquement intégrés ensembles dans tous les films indiens commerciaux. Ils peuvent l’être partiellement et à des degrés divers. Pour certains de ces films comportant en plus un message social, celui ci est compris par la plupart des spectateurs précisément grâce à la formule Masala, qui a toujours travaillé sur les symboles populaires en soignant l’esthétisme afin de séduire et de convaincre le spectateur lambda.
Le film Masala est avant tout un divertissement se terminant généralement bien, un exutoire pour faire oublier la dure réalité quotidienne, et ce encore aujourd’hui malgré le développement économique du sous continent. Il se veut aussi fédérateur, ce qui est capital dans un pays aussi grand où cohabitent des religions, des coutumes, des cultures, des langues, et des communautés très différentes.
Ramesh Sippy l’a très bien compris et n’a pas hésité à insister sur ce point en recréant tout un village symbolisant ainsi l’Inde paysanne, qui représente encore aujourd’hui la plus grande partie de la population indienne. Selon les sociologues indiens qui étudièrent le succès phénoménal de Sholay et son impact sur la société indienne, une des raisons de la réussite de ce film est que la plupart des spectateurs et spectatrices majoritairement pauvres, se sont plus ou moins reconnus à travers ces villageois.
Mais cette explication ne peut être suffisante pour essayer de comprendre ce qui a fait de Sholay, le film indien culte du XXe siècle.
Un tel engouement pour ce film peut s’expliquer par son casting.
Le casting du film est composé par une ribambelle de stars confirmées.
Dharmendra : Veeru
Sanjeev Kumar : Thakur Baldev Singh
Hema Malini : Basanti
et de stars montantes :
Jaya Badhuri : Radha
Amitabh Bachchan : Jai (Jaidev)
Ce dernier fut pistonné par Dharmendra lui même pour jouer dans le film. Amitabh, déjà surnommé à l’époque « The Angry Young Man » du fait de ses rôles de héros insoumis et révolté dans des films tels que Deewaar et Zanjeer, vola littéralement la vedette à ces partenaires malgré son rôle légèrement secondaire. Il obtint le statut de méga superstar absolu grâce à Sholay et devint par la même occasion l’idole de tout un sous continent. Élu en l’an 2000 star du millénaire par un sondage effectué par la BBC, il est toujours aujourd’hui considéré comme un dieu vivant et est profondément respecté par les autres stars indiennes du moment et notamment par l’acteur actuellement « numéro un » à Bollywood depuis plus d’une décennie : Shah Rukh Khan !
Pour la petite histoire ; il faut savoir qu’avant le tournage, Amitabh Bachchan et Sanjeev Kumar voulaient interpréter le rôle de Gabbar Singh qui était initialement destiné à Dany Dengzonpa, à l’époque, jeune acteur prometteur dans les rôles de méchants.
C’est finalement un illustre inconnu qui obtiendra le rôle : Amjad Khan.
La carrière de ce dernier fut lancée grâce à Sholay. Il devint un des acteurs qui eut les meilleurs rôles de méchant et qui s’opposa, dans plusieurs autres films, au personnage principal joué par Amitabh Bachchan. Les deux hommes sont devenus, à force de travailler ensemble, d’excellents amis.
Dharmendra, quand à lui, voulait interpréter le rôle du Thakur Baldev Singh. Ramesh Sippy avait alors décidé que si tel était le choix de Dharmendra, Sanjeev Kumar jouerait le rôle de Veeru, devenant ainsi le petit ami à l’écran de l’irrésistible et charmante Hema Malini.
Or une véritable rivalité opposait les deux stars Dharmendra (déjà marié et connu pour être un coureur de jupons) et Sanjeev Kumar qui se disputaient le cœur de la jeune actrice Hema Malini. Bien entendu ce triangle amoureux fit les choux gras de tous les journaux à l’époque.
Sanjeev Kumar avait carrément demandé en mariage la très jolie Hema Malini. Du coup Dharmendra qui était absolument fou amoureux d’elle se décida à choisir finalement le rôle de Veeru.
Bien lui en a pris puisqu’il fit d’une pierre deux coups en décrochant à la fois un des plus importants rôles de sa carrière et le cœur de sa belle qui deviendra sa seconde épouse.
Dans Sholay, Hema Malini et Dharmendra jouent avec un dynamisme à toute épreuves, offrant ainsi à leur personnage respectif un tempérament explosif teinté d’humour. Ils forment un couple cinématographique tout à fait distrayant et amusant. L’alchimie entre leurs personnages crève l’écran.
Il en est de même pour l’autre couple du film interprété par Amithabh Bachchan et Jaya Badhuri devenue Mme Bachchan en 1973, avant le tournage du film. Ils forment un des couples préférés du public indien et c’est d’ailleurs une des raisons qui a motivé le réalisateur Karan Johar pour les faire jouer ensemble de nouveau dans son film Kabhie Kushi Kabhi Gham (La famille Indienne en VF). Dans Sholay, leur couple touche l’audience par leur sensibilité et leur discrétion. Ils ne se disent presque rien. Tout passe par des silences et des regards. Ici le coup de foudre est discret et implicite mais parfaitement perceptible auprès des spectateurs, c’est le principe même du langage corporel qui est appliqué et que l’on retrouve, depuis, régulièrement dans le cinéma indien. C’est grâce à ce body langage que le charme agit !
Une des réussites du film réside aussi dans le fait que chaque personnage comporte des traits de caractères et des nuances qui leur sont propres et qui permet de les identifier facilement.
– Le sarcasme silencieux et inhérent de Jai
– Le sens de l’humour immature de Veeru
– L’irrépressible envie de bavarder de Basanti
– La sincérité et la détermination du Thakhur Baldev Singh
– Le calme troublant de Radha
– La folie meurtrière de Gabhar Singh
Une autre alchimie, et non des moindre, a réussi à marquer profondément l’audience ; il s’agit de la chaleureuse amitié qui uni deux des principaux personnages masculins, Jai et Veeru interprétés par Amitabh Bachchan et Dharmendra. Cette amitié presque fraternelle est quasiment palpable pour le spectateur. On en arrive presque à vouloir sympathiser avec eux ! Ce sont des vrais potes et le public adore ça ! Cette profonde et fidèle amitié masculine forte et indestructible se retrouve souvent dans les films indiens.
Dans Sholay la relation entre ces deux personnages est si complice et intense que certains y voient parfois une relation homosexuelle inavouée.
Comme dans la plupart des films commerciaux indiens, les chansons ont une place primordiale. Elles font partie intégrante du scénario et permettent aux spectateurs de mieux ressentir les sentiments éprouvés par les personnages du film. Elles procurent une sensation d’évasion et de rêve lorsqu’elles sont associées à une chorégraphie spectaculaire et une mise en scène maitrisée.
Les chansons de Sholay sont toutes composées par le talentueux Rahul Dev Burman, compositeur de génie que l’on peut comparer au célèbre compositeur américain Quincy Jones. Tout comme lui, R.D. Burman a été un précurseur à différent niveau. Il fut notamment le premier à importer une influence rythmique afro-américaine dans la musique des chansons de films.
La plupart de ses compositions sont devenues des tubes dont les versions remixées sont jouées aujourd’hui dans les boîtes ou les bars branchés de Bombay et New Delhi.
Il a produit ses dernières chansons au début des années 90.
Il collabora pour Sholay, et un bon nombre d’autres films, avec Anand Bakshi, le parolier indien le plus prolifique de Bollywood avec, aujourd’hui, environ 5000 chansons signées de sa main. Sa longue carrière qui dura 45 ans s’acheva en même temps que sa vie, au début de ce siècle, à l’age de 82 ans.
Rahul Dev Burman interpréta lui-même Mehbooba Mehbooba (Mon amour, mon amour) la chanson la plus « groovy » et la plus enivrante de Sholay qui est en fait la reprise d’une chanson d’une icône bien connue dans les années 70 en France : Demis Roussos. Le rythme de cette chanson est purement et simplement sexy en diable ! La présence à l’écran de la flamboyante et ultra sensuelle Helen (actrice abonnée aux rôles de vamps et de femmes fatales), ne fait qu’attiser la passion que suscite cette chanson qui remporta un immense succès dans les pays arabes.
Les autres chansons du film sont également des tubes.
La plus dramatique et la plus intense étant sans nul doute Haa Jab Tak Hai Jaan ("tant que mon cœur bat" ou "tant que je vis") interprétée par la chanteuse indienne la plus primée dans le monde et qui détient un des répertoires les plus importants (environ 60000 chansons à son actif !) : Lata Mangeshkar. Elle joue elle même la comédie en prêtant sa voix, sur cette chanson, à l’actrice Hema Malini. Le résultat est tel que l’on a l’impression de voir les images du film rien qu’en fermant les yeux… Cette chanson combinée à la séquence filmée permet aux spectateurs et surtout aux spectatrices de ressentir à la fois la douleur, la peur, mais aussi le courage de Basanti pendant ce moment particulièrement intense et dramatique où elle chante jusqu’à son dernier souffle afin de sauver Veeru d’une mort certaine.
Koi Haseena Jab Rukja Ti Hai To (quand une belle fille s’arrête…), interprétée par la voix chaleureuse et unique de Kishore Kumar, chanteur resté extrêmement populaire malgré sa disparition dans les années 80, est un vrai bijou musical grâce à l’ingéniosité de Rahul Dev Burman qui réussit à caler toute la musique sur le rythme du trot d’un cheval tirant une carriole équipée de clochettes. Le résultat est captivant. On a l’impression d’y être. On se laisse emporter par cette ballade imaginaire et cinématographique dans la campagne indienne.
Holi Ke Din (le jour du Holi) est toujours joué tous les ans lors de la fête du Holi (la fête des couleurs qui célèbre les premières récoltes, l’arrivée du printemps et qui est surtout célébré au nord de l’Inde), équivalent du carnaval dans le reste du monde. Holi Ke Din est la chanson la plus festive du film. L’instrumentation y est typiquement folklorique avec un rythme qui fait parfois légèrement penser au Bhangra, musique Punjabi qui fait fureur en Inde et dans les diverses communautés indiennes du monde entier. Dans cette chanson le duo Kishore Kumar – Lata Mangeshkar fait des merveilles par son dynamisme qui va de paire avec celui des personnages de Veeru et Basanti, qui dansent et chantent dans la séquence en question.
La chanson la plus mémorable de Sholay est sans commune mesure : Yeh Dosti (cette amitié). Elle est devenue presque un hymne national en Inde. Toutes les générations d’indiens jusqu’à aujourd’hui la connaissent quasiment par cœur. Elle possède une profonde joie de vivre que nous font partager les voix de Kishore Kumar et Manna Dey qui sont prêtées, ici, à Amitabh Bachchan et Dharmendra au moment où ils conduisent en toute insouciance une moto avec side-car. Cette séquence filmée est un bijou d’humour. La chanson influencée par la country music avec l’utilisation du banjo et de l’harmonica possède un rythme qui nous donne irrésistiblement envie de danser et de chanter en cœur le refrain. C’est un véritable anti-dépresseur à écouter sans modération pour être de bonne humeur !
Le thème musical de Sholay qui est joué au début du film est digne d’un vrai générique de Western. On y retrouve toute l’orchestration propre au cinéma américain. Seulement Burman y ajoute tout un couplet joué avec des instruments typiquement indiens, qui nous fait voyager d’un univers à un autre. Ce thème musical est en fait une introduction qui fait comprendre au spectateur qu’il va voir un western différent : un western indien.
Le scénario et les dialogues du film, tous cultes, furent écrits par le duo magique du cinéma indien : Salim Khan et Javed Akhtar. Ce dernier étant à l’heure actuelle le dialoguiste et parolier le plus demandé de Bollywood. Son fils Fahran Akhtar est devenu un jeune metteur en scène prometteur faisant désormais parti de la nouvelle génération en vogue de réalisateurs de films hindis. On lui doit, entre autre, Dil Chahta Hai et le remake de Don.
Le duo Salim-Javed est à l’origine du succès croissant d’Amitabh Bachchan et de son image de "Angry Young Man". Ils signèrent tous les dialogues des personnages interprétés par celui que les indiens surnomment, affectueusement, "the Big B".
Dans Sholay, son le style de jeu qui rappelle celui de Clint Eastwood dans sa période westerns spaghettis, remporte tous les suffrages : calme, silencieux et cynique. Le duo d’auteurs lui a écrit notamment une réplique, devenue culte. Il s’agit d’une question que Jai pose à Basanti sur un ton calme et légèrement sournois lorsqu’ils se rencontrent au début du film :
– « Tumhara naam kya hai Basanti ? (Comment t’appelles tu Basanti ?) »
Une autre savoureuse réplique fut écrite pour Bachchan, une messe basse que Jai adresse à Veeru et qui fait toujours rire les spectateurs indiens :
– « Saala nautanki, ghadi ghadi drama karta hai ! (Tu ferais un super bon acteur, espèce d’enfoiré !)
La verve de Salim Khan et Javed Akhtar, irrévérencieuse, totalement innovante pour l’époque et surtout très populaire, donne une véritable âme au film. Elle constitue la base humoristique de toutes les scènes comiques de Sholay.Le timing est parfait et les répliques font mouche à tous les coups.
On s’en rend compte surtout lors de la scène culte de tentative de suicide de Veeru. Cette scène, qui est en fait un monologue, est entièrement jouée par un Dharmendra démentiel faisant preuve de grandes qualités comiques. Une des répliques de ce monologue continue aujourd’hui de faire rire le public indien :
– « Wohi kar raha hoon bhaiya jo Majnu ne Laila ke liye kiya tha, Ranjha ne Heer ke liye tha, Romeo ne Juliet ke liye tha… suicide ! » (Je fais seulement ce que Majnu fit pour Laila, ce que Ranjha fit pour Heer, ce que Romeo fit pour Juliette… suicide !)
Un autre dialogue comique du film fut directement inspiré par la vie des auteurs. En effet, dans Sholay, le personnage de Jai tente d’obtenir avec une réticence flagrante, le consentement de la tante de Basanti pour qu’elle épouse Veeru.
Dans la vraie vie, à l’époque de l’écriture de ce dialogue Salim Khan avait accepté de négocier une demande en mariage auprès de la mère de la fiancée de son ami Javed Akhtar. Il le fit à contre cœur car il n’approuvait pas cette union. Cette anecdote véridique inspira les deux auteurs et amis pour écrire cette scène irrésistible.
Les répliques les plus fameuses, imaginés par Salim-Javed sont sans doute celles du cruel personnage de Gabbar Singh.
Tout le monde en Inde connait par exemple ces deux questions qu’il pose à trois de ses hommes avant de les exécuter.
– « Tera kiya hoga, Kaalya ? (Que va t’il t’arriver, Kaalya ?) »
– « Hmmm !… kitne aadmi tay ? (Hmmm !… Combien d’hommes étaient ils ?) »
Bien sûr ces deux répliques apparemment anodines n’ont rien d’extraordinaires en soi, mais replacées dans le contexte du film elles prennent une saveur toute particulière par le ton qu’utilise l’acteur Amjad Khan.
Bien qu’étant influencé principalement des 7 Mercenaires de John Sturges le scénario de Sholay un scénario original issu de l’imagination de Salim Khan et Javed Akhtar.
L’histoire du film se résumait initialement en quatre lignes qui furent peu à peu développées sur une longue période, influencées par des expériences de la vie. Les quatre lignes changèrent plusieurs fois de mains avant de former un scénario complet.
Tout compte fait, celui-ci mélange habilement trois intrigues :
– La Vengeance du Thakur
– L’histoire d’amour naissante entre Basanti et Veeru
– La seconde histoire d’amour naissante en entre Radha et Jai
Ce principe propre au cinéma Masala, permet d’alterner les scènes d’action et dramatiques avec les scènes comiques et romantiques ne laissant aucun temps mort au spectateur qui ne perd pas une miette de ce qu’il voit et entend.
Bien que le film aborde les thèmes bollywoodiens habituels de la fidélité en amitié et en amour, les valeurs familiales y sont presque inexistante. On ne connaît rien des origines familiales de Jai, Veeru, et Basanti. On sait juste qu’elle est orpheline et qu’elle vit avec sa tante. Habituellement cette absence de parents se retrouve chez les personnages de méchant. Or ici ce serait plutôt l’inverse. C’est une véritable innovation scénaristique à l’échelle des codes du cinéma indien.
Les deux auteurs enrichissent le scénario de Sholay en traitant des thèmes innovant touchant profondément la société indienne.
Le thème de la violence contre l’État illustre une prise de conscience croissante de l’autoritarisme. Il donne à cette époque un véritable coup de fouet au cinéma commercial indien plus habitué aux longues sagas mélodramatiques et moralisatrices.
Le thème de l’opposition entre le modernisme et la tradition est parfaitement illustré par une réplique de Basanti s’adressant à Veeru.
“ Tum shaherwale samajhte ho ke hum gaonwale ka akal hai nahin “ : (Vous les gens des villes, vous croyez que nous les paysans, nous n’avons pas de cerveau). Ce thème est omniprésent dans le film. Jai et Veeru ne sont pas originaires du village de Ramgarth où l’action se déroule principalement. Le village de Ramgarth est très respectueux des traditions comme tous les villages indiens, mais les deux héros viennent de la grande ville. Pour les habitants de ce village ils représentent le changement, et le symbole d’un avenir joyeux et optimiste, mais aussi l’antithèse du traditionalisme.
La tante de Basanti refuse d’accorder la main de sa nièce à Veeru car à ses yeux, il n’est pas du tout un bon parti pour Basanti en raison de ses défauts, de son insolence, et de sa situation financière instable. Face à ce refus, Veeru ne capitule pas. Bien au contraire, il se rebelle ! Ce qui conduit à la fameuse scène comique de la tentative de suicide.
Dans les campagnes indiennes, les veuves sont toujours stigmatisées et complètement rejetées. Elles n’ont pas de statut et encore moins de droits. Jai ose briser cette règle en demandant au Takhur de laisser à Radha la possibilité de se remarier. Malheureusement le destin s’en mêle et empêche Radha de connaître le bonheur une seconde fois.
Dans Sholay, la fatalité, la nature, et le traditionalisme travaillent en équipe pour donner du fil à retordre aux personnages principaux.
Le film nous rappelle que la société indienne a ses propres règles et n’est pas préparée à laisser un personnage aux idées avant gardistes comme Jai, les briser. Il n’a pas le droit de se rebeller et de vivre heureux.
Le village de Ramgarh qui est un personnage en soi, est content d’accepter le bon côté du changement : ne plus être menacé par Gabhar Singh et sa bande. Par contre il ne supporte pas que l’on puisse toucher aux règles générales de la société. En d’autres termes le modernisme n’a pas sa place et n’a pas non plus droit de cité dans la campagne isolée. C’est aussi vrai pour Basanti qui a une attitude rebelle en travaillant en tant que « tanga wali », et qui admet d’ailleurs que son métier est totalement inhabituel pour une fille. Elle et Veeru qui sont obligés de quitter le village afin de vivre leur vie comme ils le souhaitent.
Personne d’autre que Ramesh Sippy n’aurait pu réaliser un tel film.
Un de ses coups de génies fut d’utiliser judicieusement le silence, comme le fit son idole Sergio Leone dans ses films. Cette utilisation permet d’accentuer la violence dans des scènes tel que l’hécatombe de la famille du Thakhur. Bien que la violence soit omniprésente dans le film, on y voit très peu de sang versé.
Sippy utilise un autre élément sonore : la musique de fond composée par R.D. Burman. Ce fond musical est un personnage en soi. Il fait notamment vibrer le spectateur lors de la spectaculaire séquence de l’attaque du train par une bande de brigands, au début du film. Ici le son est aussi saisissant que l’image. Le rythme musical fusionne avec la vitesse du train et des chevaux au galop.
Ramesh Sippy fit preuve de beaucoup d’audace en innovant sur différents aspects techniques.
Sholay fut non seulement un des premiers films indiens réalisés entièrement en cinémascope 70mm, mais il fut également le premier en Inde à utiliser un système de plusieurs caméras fixés sur les différents moyens de transports présents dans ce long métrage. Il fut enfin le premier film indien à avoir été tourné entièrement en Dolby Stereo.
En 1975, Sholay était l’ultime expérience cinématographique à ne pas louper !
Sholay a failli ne jamais voir le jour.
Ramesh Sippy et son père le producteur G.P. Sippy étaient au bord de la ruine, à cause des tournages laborieux de leurs productions précédentes. Ramesh Sippy était, à l’époque, producteur associé à son père. Leur situation financière était si critique qu’ils faillirent jeter l’éponge et abandonner le cinéma. Ils réussirent finalement à renflouer leur caisses avec le succès de leurs deux dernières productions. Par la suite, ils prirent la très sage décision de modifier les termes de leur associations : GP Sippy resta producteur alors que son fils Ramesh devint réalisateur. Ce choix fut crucial et aboutit à la naissance de ce film.
Il faut noter, néanmoins, que ce film d’un genre nouveau n’a pas séduit le public indien dès le départ. Le film le plus cher du cinéma indien (à l’époque) fit, au moment de sa sortie, un énorme bide ! Le public n’était pas au rendez vous car il fut d’abord estomaqué par autant de violence et assommé par le style novateur du long métrage. Le film fut aussi victime de la censure : le puissant comité de censure indien obligea le réalisateur à changer la fin du film afin qu’elle soit conforme à la morale et à la justice. Plusieurs scènes jugées trop violentes, ont été supprimées.
Les chansons permirent au film de connaitre le début de la gloire en incitant les gens à aller voir les séquences chantées dans les salles obscures. De fil en aiguille les spectateurs furent séduits par tous les éléments du film qui bénéficia petit à petit d’un bouche à oreille plus efficace que toutes les formes de promotion possibles et imaginables. Le film resta à l’affiche cinq années consécutives battant tous les records aux box-offices et rentrant surtout dans le livre Guiness des records.
L’impact du succès de ce film en Inde peut être comparé à celui de Star Wars ! Tout le monde en occident se souvient de certaines répliques comme « Que la force soit avec toi ! » les personnages de Dark Vador, la princesse Leia , ou Luke Skywalker ont marqué les esprits de plusieurs générations.
En Inde, quasiment toutes les répliques de Sholay sont devenus cultes. L’ignoble Gabbar Singh a traumatisé plusieurs générations d’indiens. Il est d’ailleurs devenu aujourd’hui le méchant le plus populaire du cinéma indien. Certains spectateurs lui vouent même un culte ! Les autres personnages du film ne sont pas en reste et leur popularité respective n’a rien lui à envier. Tous possèdent d’ailleurs leurs sosies officiels qui ont servis pour une série comique inspirée du film, des vidéos clips, mais aussi et surtout pour la parodie cinématographique de Sholay.
Plusieurs réalisateurs indiens essayèrent de refaire des films comme celui-ci, développant ainsi le concept du cinéma Masala. Mais aucun n’a pu égaler celui de Ramesh Sippy.
Aujourd’hui, Sholay a, certes, vieilli, mais n’a rien perdu de son charme, de son intensité, de son humour et de son dynamisme. Il se laisse toujours regarder avec autant de plaisir.
C’est principalement ce qui caractérise un grand film.
Le réalisateur de Mr. India, Shekar Kapur dit très justement que le cinéma populaire indien est partagé en deux périodes : l’avant Sholay et l’après Sholay.
Pour la majeur partie des jeunes réalisateurs indiens d’aujourd’hui tel que Karan Johar, Sholay est la bible ! Le film de référence du cinéma Masala qui a d’ailleurs fortement inspiré, sur plusieurs aspects, un autre film indien culte plus récent : Lagaan.
En 1976, Sholay fut le grand perdant des Filmfares Awards. Il fut nominé dans les plus importantes catégories mais n’obtint que le prix du meilleur montage. Cette année-là le grand gagnant fut Deewaar de Yash Chopra. Celui ci remporta le Filmfare Award du meilleur film et celui du meilleur réalisateur.
Il a fallu attendre 28 ans à Ramesh Sippy pour obtenir une récompense à la hauteur du succès inégalé de son oeuvre. C’est, en effet, à la 50e prestigieuse cérémonie des Filmfares Awards en 2004, qu’il reçu le Filmfare Award exceptionnel du meilleur film indien de ces 50 dernières années.