Pakal
Traduction : Jour
Langue | Malayalam |
Genres | Drame, Films sociaux |
Dir. Photo | Vipin Mohan |
Acteurs | Pritviraj, Swetha Menon |
Dir. Musical | G. Radhakrishnan |
Parolier | Gireesh Puthenchery |
Chanteurs | K. J. Yesudas, Aparna Rajeev |
Producteurs | Santhosh Mathai, Biju John |
Durée | 95 mn |
Le Wayanad, district du Kerala, est touché par une vague de suicides de fermiers qui ne peuvent faire face à leurs dettes. Nandakumar (Prithviraj), un jeune reporter de la télévision du Kerala, est dépêché sur place par sa hiérarchie afin d’enquêter. Arrivé dans un village du district, il va, au fil de son reportage, se lier d’amitié avec la communauté de villageois. Parmi eux, il y a un vieil homme qui fait un sitting depuis quatorze ans devant la maison communale (le « head quarter office ») afin de réclamer justice pour la saisie de sa ferme qui avait provoqué le suicide de ses fils, d’une vieille femme dont le mari, surendetté, s’est suicidé également et dont les fils sont partis chercher une vie meilleure à Bombay (ils sont conducteurs d’auto-rickshaw) et de Joseph, autre fermier qui s’est endetté auprès des banques et d’un usurier local pour exploiter sa ferme et éduquer ses quatre filles, dont la cadette, Celin (Jyothirmayi), fierté de son père et des villageois, finit ses études de médecine. Nandakumar, au fur et à mesure de son enquête, comprend que le surendettement des fermiers est dû essentiellement à l’augmentation exponentielle des intérêts bancaires, des prêts contractés pour acheter des semences et des pesticides, et au manque de scrupules des usuriers et mafieux locaux, profiteurs de la détresse humaine. Pris de compassion par le désarroi de ces fermiers, le jeune reporter va se battre, en dépit des intimidations, pour dénoncer le problème face à l’inertie des pouvoirs locaux…
Le suicide de masse des fermiers indiens surendettés par l’achat de semences transgéniques et de pesticides chimiques est un problème social qui a été porté à la connaissance de l’opinion publique internationale par le journalisme d’investigation (articles, livre et reportages télévisuels). Le film malayalam, Pakal, présente l’intérêt d’offrir une approche autochtone sur la question, même s’il s’agit d’une œuvre de fiction.
Réalisé par M. A. Nishaad, un politique, venu à la réalisation sur le tard — exemple des liens très étroits qu’il existe en Inde du Sud entre cinéma et politique — Pakal est filmé comme un reportage. C’est à travers le point de vue du reporter, incarné avec beaucoup de finesse par le jeune acteur malayalam Prithviraj, que l’on prend conscience, peu à peu, du drame des suicides de masse des fermiers indiens, dans le cas présent, dans cette région du Kerala. Le traitement d’un tel sujet dans une œuvre de fiction permet au spectateur de tisser des liens empathiques avec les personnages, de s’attacher à leur histoire, de compatir à leurs problèmes. En suivant Nandakumar dans son enquête, nous allons pénétrer avec lui dans le foyer de Joseph, être émus par sa volonté de s’en sortir financièrement pour éduquer ses filles. Comme lui, nous allons écouter l’histoire de ce vieil homme ou de cette vieille femme, autant de témoignages de familles et de vies brisées par le surendettement, conséquence directe de la défaillance d’un système économico-politique où les coupables sont multiples. Si la responsabilité des multinationales et leurs pratiques douteuses sont évoquées indirectement dans le film, ce sont surtout les banques qui sont montrées du doigt comme responsables de l’endettement paysan. Leurs taux d’intérêts exponentiels obligent les fermiers à avoir recours à des usuriers et mafieux locaux, aussi peu scrupuleux qu’elles, mais aux méthodes beaucoup plus expéditives, pour pouvoir rembourser leur emprunt ou simplement subvenir aux autres dépenses familiales (c’est le cas de Joseph qui s’est doublement endetté pour payer les études de sa fille aînée). Le gouvernement local et son inertie sont aussi visés : il ne propose comme aide qu’une petite compensation financière pour la famille en cas de suicide de l’un des membres.
La situation de l’action au Kerala est intéressante pour deux raisons. C’est l’un des états de l’Inde qui comporte les indices de développement les plus élevés (taux d’alphabétisation de la population, scolarisation des femmes, etc.) et dont un quart de la population est chrétienne. En effet, le village où enquête Nandakumar est habité par des chrétiens, à l’image de Joseph, le fermier avec lequel il se lie d’amitié. C’est pourquoi, l’Eglise, ou plutôt la hiérarchie ecclésiastique, n’est pas épargnée par la critique. À travers l’évêque, prompt à s’asseoir à la table des puissants, mais peu attentif au malheur de ses ouailles, ou le curé, qui n’est là que pour les offices funèbres, le réalisateur dénonce le manque de charité, pourtant vertu fondamentale du christianisme, de cette Eglise qui, par sa passivité, se fait complice des profiteurs. La situation du suicide de masse au sein de la communauté chrétienne, où l’on sait que le suicide est un péché mortel, condamnant celui qui le commet à la damnation éternelle, ajoute à l’acuité du problème et annule l’argument principal des gens de mauvaise foi qui imputaient au fatalisme et à la soumission au karma de l’hindouisme le recours au suicide.
Pakal dénonce, apparemment sans concession, les responsables du suicide de masse des fermiers du Kerala, je lui reprocherais néanmoins une fin abrupte et un heureux dénouement très mal amené. Après nous avoir fait partager le drame de ces paysans (on va de drame en drame pendant les trois quarts du film) et alors même qu’il avait dénoncé le manque d’action du gouvernement local, le réalisateur débloque soudainement la situation dans les dix dernières minutes. Sans que le spectateur en saisisse immédiatement la cause, on assiste à la prise de conscience subite du problème par les politiques qui décident d’aider les paysans, comme si, le réalisateur, issu du monde politique, n’assumait pas totalement la dénonciation du problème et qu’il ne pouvait se résoudre à offrir une œuvre totalement engagée.
Si Pakal est un film intéressant et exigeant par son sujet, ayant en cela certaines des caractéristiques d’un cinéma d’auteur, il possède aussi quelques aspects formels propres au cinéma populaire, en particulier, l’esquisse de relation amoureuse qui se dessine entre Nandakumar et la fille cadette de Joseph, la séquence chantée qui met en scène une famille endeuillée ou quelques bagarres, montrant Nandakumar intimidé par les mafieux locaux, le tout avec le bruitage typique des films du sud.