La BD et l’Inde
Publié vendredi 23 juillet 2010
Dernière modification jeudi 13 mars 2014
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Pour nombre de créateurs, l’Inde est souvent synonyme de mystère, de magie, d’exotisme. Ce pays propice au dépaysement extrême de par ses coutumes, ses croyances, sa population s’est révélé une source d’inspiration pour tous les raconteurs d’histoires. La bande dessinée n’est pas en reste. Les artistes du 9ème art n’ont cessé d’enfoncer le clou sur leurs planches de bandes dessinées, d’une imagerie indienne où se côtoient beauté et danger, faute à une culture propice à tous les fantasmes. Petit tour non-exhaustif sur la question.
Le mondialement célèbre Tintin s’est rendu trois fois en Inde et n’échappe pas aux stéréotypes dans les albums Le Lotus Bleu, Le Temple du Soleil et Tintin au Tibet même si l’on sait que le dessinateur Hergé se documentait énormément pour conter les aventures de son petit reporter.
L’INDE DANS LA BD FRANCO-BELGE
Dans la bande dessinée d’après-guerre, l’exotisme est une valeur sûre de dépaysement pour les petites têtes blondes de France et de Belgique. Un modèle et une inspiration qui nous viennent de la BD américaine (Tarzan, le Fantôme…). Ainsi, ils sont nombreux les auteurs à dérouler des scénarios plus ou moins farfelus se déroulant en Inde. Toutes les caricatures y passent : Fakir fourbe, Maharadjah assoiffé de gloire et puissance, dresseurs de cobra, hypnotiseurs à turban, serviteurs maltraités, enfants abandonnés… Citons pour l’exemple Zig et Puce aux Indes de Alain Saint-Ogan ; Gil et Jo, Mystères aux Indes de Jef Nys ;
Corentin, le Signe du Cobra de Cuvelier ; Oscar, le Petit Canard aux Indes de Mat ou encore Bob et Bobette, la Tombe Hindoue de Vandersteen. Le moins que l’on puisse dire, est que toute une génération de lecteurs grandit avec une image de pacotille du sous-continent. Les Indes sont attirantes mais berceau de tous les dangers, les fanatismes sectaires (En cela, les cinémas européen et américain seront également un bon relais) et autres illuminés en tous genres.
Il faudra attendre, les années 70 et le mouvement hippie pour pouvoir lire une description de l’Inde diamétralement opposée. Le pays devient une terre accueillante et chaleureuse pour tous les adeptes de liberté où tout y est possible, notamment l’usage de psychotropes. L’Inde aura énormément de mal à se sortir de cette nouvelle caricature de sa culture. Le psychédélisme exotique s’égrène au fils des planches d’auteurs reconnus comme Jean Vern, Jano, Mandryka, Gotlib et marquera durablement la pupille des amateurs de BD. On lira dans le genre le Bonjour les Indes de Dodo et Ben Radis, excellent condensé de cette époque avec un petit plus sur l’aspect culturel millénaire indien.
Les auteurs des années 80 reviennent vers une bande dessinée d’aventure. Hommage à un genre qui a bercé leur enfance. Pour autant, plus question d’aborder le sujet avec naïveté, le contexte se doit d’être traité avec un regard plus adulte, plus informé. Conrad sera le plus fervent utilisateur de l’Inde pour décor avec son album L’Avatar et sa suite Le Piège Malais ainsi que dans sa nouvelle série Raj qui se déroule au début du XXème siècle.
Autres personnages célèbres à découvrir les Indes, l’aventurier Corto Maltese, le pirate Barbe-Rouge, le soldat Lester Cockney, le groom Spirou, l’aviateur Martin Milan, etc.
L’INDE EN BD DANS LES ANNEES 2000
L’arrivée d’une nouvelle génération d’auteurs au début des années 2000 et l’évolution des thèmes développés dans le 9ème art avec les éditeurs indépendants va permettre de découvrir, une bande dessinée quasi-reportage. On sent dans le travail de ces dessinateurs, une authenticité, un vécu dû à un voyage ou à l’apport d’internet. En bref, on est informé et plus question de raconter n’importe quoi à un lecteur qui a tout le loisir de s’informer, de vérifier ce qu’on lui raconte.
Citons l’excellent Chaabi de Marazano et Delaporte qui se passe dans le nord de l’Inde, de nos jours. Le lecteur suit l’enquête menée par Mayome Banerjee, une journaliste de Calcutta qui a rencontré Chaabi, un révolutionnaire peu avant son décès, et recueilli les témoignages de ses anciens fidèles, pauvres parmi les pauvres ou brigands.
L’aspect social et politique est fortement développé dans ce tryptique ; L’œil de Shiva de Dumas se déroule au 19ème siècle et narre la recherche par des aventuriers de l’œil du dieu ; dans le genre aventures, il serait dommage de passer à côté de la série de Franck Le Gall Théodore Poussin, personnage poétique qui découvre les mystères de l’Asie (et par conséquent de l’Inde) au fil de ses pérégrinations sur la mer. L’auteur saisit bien dans ces récits initiatiques, le charme et le mystère de ces contrées lointaines.
Contes des Indes en bd de votre serviteur réunit avec un collectif de dessinateurs des histoires traditionnelles indiennes avec une volonté d’authenticité ;
Le Cercueil des Souvenirs, Indrani de Willem et Keera se situe dans l’Inde coloniale ; Maharadjah de Joann Sfar, est un carnet de voyage très critique sur la politique indienne contemporaine dans le Rajasthan ; L’Association en Inde est un collectif d’histoires ayant pour thème la rencontre, l’observation humaine ;
Mega-Krav-Maga de Trondheim, Sapin et Frantico, témoignage sur une invitation au service culturel français de Delhi ; Djinn de Dufaux et Mirallés déroule une ambiance mystico-érotique à souhait, son deuxième cycle empreint de mythologie ; Rani de Van Hamme, Alcante et Vallés est une saga historique réaliste ; Desberg et Reculé proposent une nouvelle adaptation du classique de Kipling Le livre de la Jungle ; enfin, n’oublions pas le très beau India Dreams du couple Charles, proche par le traitement de son thème (une histoire d’amour sur plusieurs générations) du cinéma Bollywood. L’Inde devient un territoire romantique à souhait !
ET LA BD INDIENNE DANS TOUT CELA ?
En France, quelques dessinateurs indiens sont édités, notamment chez Vertige Graphic avec des albums comme Corridor de Sarnath Banerjee qui raconte les tribulations d’un explorateur post-moderne au cœur de Delhi et Calcutta du même auteur qui explore l’histoire de cette cité.
Impossible de ne pas évoquer Frères d’Armes de Naseer, Saurabh, Abdul. Sultan et Sengupta qui se partage entre deux récits réalistes entièrement distincts l’un de l’autre - mais dont la thématique est commune : la confrontation de la société indienne d’aujourd’hui avec le fondamentalisme religieux.
Dans un style plus proche de la BD américaine, citons Ramayan de Deepak Chopra et Shekhar Kapur (oui, le réalisateur d’Elizabeth, oscarisé en 1998 !), adaptation futuriste du Râmâyana.
LA BANDE DESSINEE EN INDE
Le 9ème art n’a pas en Inde, une importance aussi forte qu’en Europe ou dans d’autres pays d’Asie. La bande dessinée se contente souvent d’être destinée aux enfants ou sous forme de petits strips dans les quotidiens.
Il existe quelques revues de BD, souvent éditées sur un mauvais papier comme Tinkle qui publient dans leurs pages des BD d’aventures, d’humour ou policières de qualité variable.
La bande dessinée indienne se veut également pédagogique. Quel meilleur moyen pour la jeunesse de se confronter à sa littérature mythologique que de la raconter en BD. Ainsi, le Râmâyana, le Mahabharata existent dans des versions dessinées éditées sous forme de petits fascicules aux éditions Amar Chitra Katha. On y trouve également, la vie de Krishna, Vishnu, Ganesh, Parvati… Mais aussi des grands hommes du pays, tels Gandhi, Tagore ou encore Zarathushtra.
En 2008, une certaine émotion s’est emparée de la toile indienne avec l’apparition de "Mme Savitha Bhabhi" dans ce qui est considéré aujourd’hui comme la première bande dessinée pornographique indienne. Mme Savitha a fait de nombreux émules parmi les défenseurs de la morale indienne, une situation plutôt ironique pour un pays qui a dépassé le milliard d’habitants. Malgré le côté controversé qui a obligé son trio d’auteurs à emprunter des pseudonymes (Deshmukh, Dexstar et Madman), "Mme Savitha Bhabhi" a le mérite de poser des questions gênantes sur les valeurs de la société indienne et de mettre à mal les mentalités hypocrites. En ce sens, "Mme Savita" représente à la fois une incursion rare dans la BD adulte et à sa façon, un brûlot érotique tentant de faire bouger les esprits coincés. Ces aventures érotiques ont été traduites et éditées en France sous le titre racoleur de Love in Bollywood.
Enfin, gardons pour la fin, le mensuel de cinéma Ciné Blitz qui n’hésite pas à publier des parodies de films à succès en BD dans ses pages. Même l’immense Shahrukh Khan a droit à sa caricature !
EDDY SIMON
BIBLIOGRAPHIE
Corridor et Calcutta éditions Vertige Graphic
L’œil de Shiva éditions Semic
Frères d’Armes éditions Casterman
India Dreams éditions Casterman
Mega-Krav-Maga éditions Delcourt
Maharadjah éditions Delcourt
Le Cercueil des Souvenirs, Indrani éditions Paquet
Bonjour les Indes éditions Humanoïdes Associés
Râmâyan éditions Fusion Comics
L’Association en Inde éditions l’Association
Chaabi éditions Futuropolis
Raj éditions Dargaud
Chintu, la petite danseuse indienne éditions Axiome
Le Piège Malais éditions Dupuis
Contes des Indes éditions Petit à Petit
Théodore Poussin éditions Dupuis
Le livre de la Jungle éditions Dargaud
Love in Bollywood éditions Blanches
A paraître :
Le Kâma-Sûtra en BD éditions Petit à Petit (octobre 2010)
Djinn (2ème cycle en Inde) éditions Dargaud