Item-Numbers à Bollywood
Publié vendredi 18 avril 2014
Dernière modification samedi 8 novembre 2014
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Les item-numbers sont une particularité du cinéma commercial indien. Il s’agit de chansons chorégraphiées qui n’ont pas de rapport avec l’intrigue du film, une sorte d’interlude musical. Elles présentent une danseuse fort jolie, l’item-girl, dans un numéro qui met en avant ses charmes. Elle se jette bien souvent à la tête du premier venu, en général dans des vapeurs d’alcool ou la fumée des cigarettes, sans même la moindre justification scénaristique. Dans un pays à la morale conservatrice, les item-numbers constituent dès lors une délicieuse transgression.
Mais on peut également voir les item-girls comme une version populaire des courtisanes d’autrefois, l’hypocrisie des anciens maîtres en moins. C’est ainsi pour nous l’occasion, l’espace de quelques chansons, de nous prendre pour des nababs…
Titre : Ek Do Teen
Année : 1951
Item-girl : Cukoo
Chanteur : Shamshad Begum
Compositeurs : Shankar-Jaikishan (musique), Shailendra (paroles)
Pourquoi ce choix ? Les danseuses sont présentées à l’écran très tôt dans le cinéma indien. Des vamps comme Azurie ont illuminé les yeux des spectateurs dès le milieu des années 30. Mais cela n’en faisait pas des item-girls au sens où on l’entend aujourd’hui. Il manquait le coté sulfureux, presque scandaleux, qu’apporte la merveilleuse Cukoo dans la charmante ritournelle Ek Do Teen, mise en scène par Raj Kapoor en 1951.
On trouve pour la première fois tous les ingrédients réunis dans une seule chanson : une danseuse suggestive à la vertu ésotérique, l’alcool qui coule à flots, le troupeau égrillard à la langue pendante, la scène déconnectée de la narration se passant dans un lieu de plaisir. Plus ou moins explicitement, elle nous parle de péché, mais elle termine sa chanson, laissant les spectateurs finalement pas mécontents de s’être gentiment encanaillés pendant quelques minutes.
On prête à Raj Kapoor la réputation d’avoir été un homme à femmes, ce qui explique peut-être qu’on lui doive ce pied de nez à la bienpensance. Il le réalise avec les plus grands. Cukoo était alors une danseuse célèbre qui avait même joué quelques second-rôles comme dans Andaz en 1949. Shankar-Jaikishan pour la musique et Shailendra pour les paroles étaient les auteurs maison depuis Barsaat. Shamshad Begum enfin était au sommet de son art et la voix attitrée de Cukoo.
Titre : Piya Tu Ab To Aaja
Année : 1971
Item-girl : Helen
Chanteur : Asha Bhosle et R. D. Burman
Compositeurs : R. D. Burman (musique), Majrooh Sultanpuri (paroles)
Pourquoi ce choix ? Cukoo avait été la reine pendant une décennie. Helen, qu’elle a lancée, lui succédera et deviendra l’impératrice du genre jusqu’au milieu des années 1970. Dès 1958 et son fameux Mera Naam Chin Chin Chu, Helen a été l’item-girl par excellence, participant à plus de 500 films et réalisant des numéros qui sont restés dans toutes les mémoires.
Piya Tu Ab To Aaja est un de ses item-numbers immortels. Le cabaret des années 60-70 a remplacé les bars enfumés des années 50. La clientèle est bien plus convenable mais la « morale » est toujours mise à mal. Monica, car elle est ici nommée, commence son numéro soûle et n’hésite pas à déchirer sa robe pour se précipiter vers son amant qu’elle désire avec avidité. Asha Parekh, assise dans la salle, exprime dans le regard toute la réprobation morale dont elle est capable. À cela s’ajoute la voix particulièrement expressive d’Asha Bhosle sur une musique entraînante de R.D. Burman.
Titre : Main Hoon Akeli Raat Jawan
Année : 1984
Item-girl : Leena Das
Chanteur : Asha Bhosle
Compositeurs : Ajit Singh (musique), Amit Khanna (paroles)
Pourquoi ce choix ? En 1984, l’âge d’or du cinéma indien est terminé depuis longtemps. Bollywood court après Hollywood dans un effort désespéré pour faire revenir les spectateurs dans les salles. Les films sont plus violents et l’esthétique devient très tape-à-l’œil. Musicalement, le disco est mis à toutes les sauces, tandis que les ingénieurs du son abusent de la chambre d’écho. Helen est dans une semi-retraite et Cuckoo est décédée.
La discothèque a remplacé le cabaret, mais en réalité le genre s’est un peu perdu. Des actrices de renom, comme Parveen Babi se mettent à interpréter des item-numbers édulcorés, reléguant les authentiques item-girls dans des films plus modestes. C’est ainsi que l’on trouve Leena Das dans Purana Mandir, un film d’horreur à petit budget qui a fait son effet à l’époque. Les moyens tout comme l’imagination font défaut, même si l’éternelle Asha Bhosle prête toujours sa voix.
Il n’y a plus le coté sulfureux d’autrefois. Bien sûr Leena Das tente de mettre en avant ses avantages, mais son costume hideux ne la met vraiment pas en valeur. La jeune fille qui assiste au spectacle ne fait les gros yeux que par jalousie, et le photographe ne s’intéresse pas à la danseuse, mais au jeune couple. Les autres spectateurs, tous proprets, sont d’une passivité qui fait presque pitié pour l’artiste. Au final, la morale est sauve. Mais au fond, Main Hoon Akeli Raat Jawan n’était peut-être qu’une publicité pour la marque de peinture qu’on voit avec insistance à l’arrière-plan …
Titre : Fevicol Se
Année : 2012
Item-girl : Kareena Kapoor
Chanteur : Mamta Sharma, Wajid Khan, Keerthi Sagathia, Shadaab Faridi, et Uvie
Compositeurs : Sajid-Wajid (musique), Sajid-Wajid et Ashraf Ali (paroles)
Pourquoi ce choix ? La fin des années 90 voit la résurrection des item-numbers. C’est ainsi que Khallas claque comme un coup de tonnerre en 2002. Un peu plus tard, on a même parfois l’impression d’assister à une surenchère lorsque des mannequins d’origine diverse, toutes plus jolies les unes que les autres, tentent de percer à Bollywood dans le rôle si particulier d’item-girl.
En 2012, une femme, Farah Khan, revisite à son tour le genre. Cette réussite totale en reprend tous les canons : cela se passe dans le « quartier rouge » avec même quelques plans dans la maison close, les « convives » sont ivres et forcent sur la bouteille, quant à l’héroïne, c’est ouvertement une prostituée.
Cette chanson est un tour de force à plusieurs titres. Il s’agit tout d’abord d’une publicité pour une marque de colle. Ce type de produit parait à première vue plutôt incongru, mais les auteurs ont réussi magnifiquement à retourner à leur avantage ce qui aurait pu être un handicap grave. Ensuite, Kareena Kapoor dans le rôle de l’item-girl, comme Salman Khan dans celui du fêtard, ne sont plus si jeunes ni à l’aise dans la danse. En jouant sur un humour décalé et bon-enfant, Farah Khan a obtenu d’eux le petit bijou que voici.
Titre : Chikni Chameli
Année : 2012
Item-girl : Katrina Kaif
Chanteur : Shreya Ghoshal
Compositeurs : Ajay-Atul (musique), Amitabh Bhattacharya (paroles)
Pourquoi ce choix ? Quelques mois avant Dabangg 2, l’item-number d’Agneepath avait déclenché l’hystérie. Pour être juste, il avait aussi causé la fureur de nombre de bien-pensants qui le trouvent pornographique, phallocrate et même raciste. Il faut admettre que les auteurs ont tout osé : l’item-girl est une prostituée offerte par son maître à son hôte. Pire encore, elle boit et incite à boire et à fumer. Elle réalise enfin sa danse de séduction entourée d’une horde de soudards armés qu’elle chauffe à blanc, sans vergogne. La transgression est totale, cette chanson est le mal incarné !
La musique du duo Ajay-Atul est reprise de Jatra, un film marathi de 2006 (vous pouvez voir l’original Kombadi Palali ici). Ganesh Acharya a également intégré quelques mouvements de la chorégraphie originale, mais la présence fabuleuse de Katrina Kaif, la réalisation de Karan Malhotra, la voix de Shreya Ghoshal et les paroles particulièrement équivoques d’Amitabh Bhattacharya, ont amené Chikni Chameli à des sommets rarement atteint dans le cinéma hindi.