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La critique de Fantastikindia

Par Mel - le 15 avril 2014

Note :
(5.5/10)

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Lors de la relecture de cette chronique, Kendra a fait la remarque qu’elle lui rappelait Mrs. ’Arris goes to Paris, un téléfilm de 1992 avec Angela Landsbury dans le rôle titre, adapté de la nouvelle éponyme de Paul Gallico. Quelqu’un a eu la bonne idée de placer le téléfilm américain sur Youtube, et force est de constater que Gangoobai est effectivement un remake, sans aucune variation ni réécriture. Les personnages sont presque identiques, tout comme l’atmosphère générale et le message du film. Même son sous-titre Dare Your Dream (Ose ton rêve) est très proche du titre français de l’œuvre originale : « Tous les rêves sont permis ».

Malheureusement, il n’est fait mention nulle part dans le DVD ou en interview de son « auteure » de la source de l’inspiration. Le remplacement d’une robe Dior par un gara est une bien maigre différence qui ne justifie pas que Priya Krishnaswamy s’attribue la paternité de cette histoire. On en est réduit à considérer que Gangoobai, malgré la caution du NFDC, fait tristement partie de la longue cohorte des plagiats indiens.


Gangoobai (Sarita Joshi) est une vieille servante qui vit seule à Matheran, un village situé sur une colline escarpée où les voitures sont interdites. Elle s’occupe de la maison d’une riche famille, ainsi que du ménage d’une jeune femme aigrie qui se rêve en star de cinéma. Un jour, elle aperçoit la fille de ses maîtres drapée dans un gara sari [1]. C’est un choc. Gangoobai, émerveillée ne pense dès lors plus qu’à ce merveilleux sari qu’elle désire à en perdre le sommeil. Elle a entendu le père évoquer son prix exorbitant, 45 000 roupies, très au-dessus de ses pauvres économies.

Mais loin de se laisser abattre, elle se décide à mettre de côté roupie après roupie. Elle fait tous les travaux qu’elle peut trouver, se néglige, tente même sa chance aux courses. Et puis, au bout de quatre ans d’efforts, la somme enfin réunie lui permet de réaliser le voyage de ses rêves. Elle se rend à Bombay, directement à la maison de haute couture Ardra pour acheter son gara.

Dans un premier temps, Daksha (Mita Vashisht), la patronne d’Ardra, refuse de la recevoir. Mais les affaires ne sont pas florissantes et après tout, l’argent d’une servante vaut bien celui d’une maharani. Alors Dashka lui trouve une petite place pour le défilé du soir qui se termine par le showstopper : l’extraordinaire gara sari porté par la ravissante Monisha (Nidhi Sunil)…

Pour son premier film de cinéma, Priya Krishnaswamy mêle plusieurs sujets, trop peut-être. La réalisation des rêves à n’importe quel âge constitue le thème central, mais le respect quelque soit la condition, ou même l’harmonie avec la nature, sont également abordés par petites touches. Tout cela est présenté avec une grande douceur. La gentillesse est ce qui caractérise Gangoobai comme la plupart des personnages. Nous sommes aux antipodes des films commerciaux actuels : il n’y a pas ici l’ombre d’un soupçon de violence.

Même les tensions sociales qui auraient pu venir de la modeste condition de la vieille dame sont en grande partie gommées. Le suffixe « bai » accolé à son nom désigne une servante, mais c’est aussi une marque de respect. Il est ainsi troublant d’observer que les personnages l’appellent presque indifféremment Gangoo, signifiant par là qu’ils se considèrent à égalité, ou Gangoobai car elle est effectivement une domestique. Il en va de même de sa vieille copine Malan (Aparna Kanekar) que Gangoo appelle Malanbai.

Le film n’évite pas l’opposition entre des classes sociales très éloignées, mais il le mêle avec d’autres différences très importantes comme celle de l’âge, des aspirations ou de la situation sentimentale. Au final, tous se retrouvent autour de l’adorable Gangoobai : la charmante Monisha qui souhaite un amour véritable malgré son physique à tomber par terre, Waman (Purab Kohli) le doux comptable qui voudrait bien compter fleurette à Monisha, Jamshyd Mistry (Behram Rana) le vieux riche qui ne sait pas bien comment lancer son fils dans la vie, et même Rohan (Rajendranath Zutshi) le créateur qui retrouve le goût des travaux d’aiguille.

Peut-être parce qu’il est dans le registre du calme et de la sérénité, Gangoobai arrive même à intéresser le rustre qui écrit ces lignes aux merveilles de la haute couture indienne. Mon inclination naturelle est plus portée vers le portemanteau que le vêtement, mais il faut reconnaitre que les délicats effets spéciaux qui mettent en valeur le gara tapent dans l’œil. On est aux antipodes de Fashion : la beauté candide, le travail bien fait et une vieille dame qui suscite l’empathie — Sarita Joshi avait 70 ans au moment du tournage — nous ramènent à des valeurs simples et confortables.

À éviter les confrontations brutales qui font souvent le sel du cinéma, le risque était grand de tomber dans la mièvrerie. Priya Krishnaswamy évite cet écueil pendant la plus grande partie du film. Mais Gangoobai est constamment sur le fil du rasoir, évoquant des choses simples et qui parlent au cœur. Il fallait bien le finir, résoudre les conflits et boucler les boucles. Comme souvent, peu de solutions se présentaient : basculer dans le drame, nous laisser sur notre faim, ou la troisième voie, celle de la guimauve. On ne peut s’empêcher de penser qu’elle y a plongé les deux pieds. C’est d’autant plus dommage que le film perd alors terriblement en vraisemblance et qu’on en sort en oubliant même qu’on y avait cru.

Un autre danger était de susciter l’ennui. Le film est court et ne nous en laisse pas le temps. Ce serait pourtant ne pas rendre justice à ses auteurs que d’omettre à quel point les personnages sont attachants et que passer 106 minutes en leur compagnie est un vrai plaisir. Nous sommes à l’affut d’une réplique, d’un regard ou d’un sourire. Et cela compense largement l’absence de suspens et la relative lenteur de l’action. Cela arrive même à nous éviter de penser à la naïveté du scénario ou à ses situations trop vite expédiées.

Sarita Joshi est une actrice de théâtre et de télévision reconnue, pour la première fois en tête d’affiche au cinéma. Elle porte le film sur ses épaules de bout en bout, incarnant à merveille cette humble servante. Elle est secondée par Purab Kohli égal à lui-même qu’on avait vu en couple avec Gul Panag dans Turning 30 et Fatso !. Il est ici associé à une autre miss, Nidhi Sunil, qui fait des débuts convaincants à l’écran. Tel n’est malheureusement pas le cas de Behram Rana, un peintre venu au cinéma à l’âge de la retraite.

Un premier film centré sur une femme pauvre et âgée, avec des acteurs peu connus du grand public, financé par un organisme public, le NFDC (National Film Development Corporation of India), sans chanson, telle était la recette d’un échec commercial annoncé. Il a été pire qu’imaginé en arrivant 139e au classement des meilleures recettes de l’année 2013. Seuls quelques milliers de spectateurs l’ont vu en salle et c’est presque par miracle que le DVD existe.

Ce triste destin est injuste. Certes Gangoobai est un film inhabituel, assez lent et bourré de défauts de jeunesse. Son écriture est parfois approximative et son final peut surprendre. Mais c’est une touchante proposition de cinéma dont les personnages très attachants nous permettent de passer un agréable moment.


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Femmes parsies portant des garas (vers 1860)

[1] Les gara saris, ou simplement garas, sont des saris faits de soie richement brodée, portés traditionnellement dans les grandes occasions par les femmes parsies. De différentes couleurs et représentant des motifs très variés, les garas se caractérisent avant tout par la délicatesse des broderies qui peuvent parfois recouvrir l’ensemble du sari.

Les garas venaient autrefois de Chine où la technique de la broderie sur soie avait atteint des sommets. Des artisans chinois se sont installés en Inde et une production locale a pu se développer. Mais ce savoir-faire unique se perd à mesure que la population parsie diminue, ce qui a poussé l’Unesco a lancer un programme de préservation de cet art ancien.

Ces vêtements sont rares et précieux, au point qu’ils sont souvent considérés comme des bijoux et transmis en héritage. Posséder un gara est un privilège et pour Gangoobai, la modeste servante, c’est un rêve inaccessible.



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