Filmistaan
Langue | Hindi |
Genres | Comédie, Films semi-commerciaux |
Dir. Photo | Subhransu Das |
Acteurs | Kumud Mishra, Sharib Hasmi, Inaamulhaq, Gopal Dutt |
Dir. Musical | Arijit Datta |
Parolier | Ravinder Randhawa |
Chanteurs | Nikhil D’Souza, Shafqat Amanat Ali, Ishq Bector, Swaroop Khan, Arijit Datta |
Producteurs | Siddharth Roy Kapur, Shyam Shroff, Balkrishna Shroff, Shaila Tanna, Subhash Choudhary |
Durée | 117 mn |
Réalisé en 2012, sorti en Inde en juin 2014, Filmistaan est une sorte d’ovni dans le ciel de Bollywood. Ce film semi-indépendant, sans méga star ni caméo, est en effet un petit bijou de comédie. Il a raflé de nombreux prix dans les festivals où il a été montré. Vu pendant la 2e édition du festival Extravagant India ! en mars 2015, Filmistaan a reçu une mention spéciale du jury pour son scénario, très amplement méritée.
L’histoire commence à Bombay, la capitale du cinéma de Bollywood comme chacun sait. Sunny Arora (Sharib Hasmi) traîne de casting en casting et rêve de devenir un grand acteur. Il se fait éjecter de tous les plateaux, y compris des moindres petits films publicitaires tant ses auditions sont catastrophiques. Finalement embauché comme assistant metteur en scène — après tout Hrithik Roshan a débuté ainsi sur le plateau de Koyla avant de devenir une superstar, dit-il pour se convaincre — Sunny part avec une équipe de tournage américaine au fin fond du désert du Rajasthan, tout près du grand pays voisin pakistanais.
Une nuit, il est enlevé par erreur par des terroristes et séquestré dans un village de l’autre côté de la frontière. La maison où il est retenu prisonnier appartient à la famille de Aftaab (Inaamulhaq), ce dernier vit plus ou moins du trafic de films de Bollywood piratés et est aussi fou de cinéma que l’otage sur lequel il est contraint de veiller jusqu’au retour des chefs du commando — on ne saura pas vraiment s’il est politique ou religieux. Car ces derniers espèrent encore capturer les Américains et repartent les traquer dans le désert, avant de prendre une décision à propos de Sunny. Que va-t-il se passer ? Comment va-t-il vivre cette épreuve ? Sunny sera-t-il libéré, une fois les malentendus dissipés ?
Un sujet aussi sérieux aurait pu être traité sur le mode du drame ou de la tragédie. Le metteur en scène dont c’est le premier long-métrage, a choisi le ton de la comédie, qui plus est la comédie déjantée, démontrant une fois de plus qu’on peut rire de tout si on le fait intelligemment et avec bienveillance. Par ce biais, il ne se prive pas d’aborder de nombreux thèmes graves, comme celui du terrorisme et du rapport des populations locales avec ces groupes extrémistes. Il y est aussi question de l’identité des deux pays, des réseaux parallèles de diffusion des films et de beaucoup d’autres choses. Et, par moments, le ton se fait par ailleurs plus sérieux. Mais, par les sales temps qui courent sur la planète, faire rire aux éclats toute une salle, avec la mise en scène délirante de la vidéo des revendications du groupe armé, n’est pas un mince exploit. C’est celui réussi par Nitin Kakkar, également scénariste du film, qui a auparavant réalisé des séries pour la télévision.
Ce jeune cinéaste nous ballade d’un gag à l’autre sans discontinuer, tout en laissant une place entière à l’émotion lorsque c’est nécessaire. Si le mot d’empathie a du sens, il s’applique ici pleinement à sa manière de filmer. Ses personnages sont traités sans mièvrerie, mais avec une égale bienveillance. Ils ont chacun leur chance, jusqu’aux tout petits rôles. Il faut voir par exemple, avant l’enlèvement, le policier rouleur de mécaniques qui se laisse séduire, non par un pot de vin mais par un passage devant la caméra de Sunny, sous les yeux médusés des Américains qui n’y comprennent rien. Les premiers mots de Sunny lorsqu’il se rend compte qu’il est dans un village pakistanais, après qu’on lui ait ôté son bâillon et donné à manger, sont pour dire « mais c’est pareil que chez moi, ce sont les mêmes gens, la même langue, les mêmes plats ». Autrement dit : je suis dans ma famille.
Or sa famille, c’est d’abord celle du cinéma, et Filmistaan est par-dessus tout une ode au cinéma, une vraie déclaration d’amour à cet art qui rapproche les hommes par-delà frontières et idéologies. Pas besoin d’être initié à Bollywood pour rire de bon cœur. Le propos est universel et on pense à des œuvres, bien que très différentes, comme La Rose Pourpre du Caire de Woody Allen et plus récemment The Artist de Michel Hazanavicius, et surtout à Soyez Sympas rembobinez de Michel Gondry, pour les deux protagonistes principaux. Si de surcroît, comme nous le sommes tous ici, le spectateur est familier du cinéma populaire indien, cela devient un pur délice de reconnaître les films cités, parodiés, rejoués avec amour par deux farfelus immédiatement en harmonie.
Quelques exemples. La scène absolument irrésistible où Sunny sauve du désastre une projection de Maine Pyar Kiya dont la copie, évidemment piratée, n’a brutalement plus de son au moment clé de l’intrigue, mérite des rester dans les anthologies. On n’en dira pas plus. De même, la démonstration faite aux enfants sur les différentes façons qu’ont les acteurs de tenir une kalachnikov, après avoir emprunté celle d’un des deux terroristes restés au village. Il ne vient même pas à l’idée de notre héros de s’en servir pour se libérer. Bien sûr, on a droit à quelques répliques de Dilwale Dulhania Le Jayenge, etc. Les plus calés s’amuseront à identifier d’autres références.
On pourrait presque dire que dans Filmistaan, l’amitié, oh combien !, est un personnage à part entière, celle entre Sunny et Aftaab d’abord, et ensuite celle entre Indiens et Pakistanais. Voilà une œuvre qui parle d’une fraternité possible entre les deux pays plutôt que d’un conflit perpétuel. Elle a été à ce titre exemptée de taxes dans l’État du Mah ?r ?shtra. Notons toutefois que le village où a été tourné le film est une localité du Rajasthan. Une scène très forte et empreinte d’émotion est celle du vieux médecin qui raconte à Sunny ses souvenirs d’Amristar. Celui-ci lui parle en retour de son grand-père qui n’a jamais pu oublier Lahore. Et pour la petite histoire, révélatrice, les deux interprètes principaux qui ne se connaissaient pas avant le film sont devenus amis après le tournage.
Parlons-en justement. Dire qu’ils sont formidables n’est pas suffisant. Tous sont des seconds couteaux de Bollywood. Sharib Azmi, que certains se souviendront d’avoir vu dans Jab Tak Hai Jaan où il jouait l’ami de Shah Rukh à Londres, montre qu’il n’y a nul besoin d’avoir un physique de star pour être un très grand acteur. Il porte le film. Le début du scénario dont il a écrit les dialogues correspond quasiment à sa propre histoire. On espère très vivement que d’autres metteurs en scène sauront exploiter son talent après sa prestation généreuse dans Filmistaan. Voilà un comédien qui ne force jamais le trait dans les scènes comiques et qui arrive quand-même à vous arracher un sourire dans les moments de tension.
Le duo qu’il forme avec Inaamulhaq est un des meilleurs vu depuis longtemps au cinéma. Ce dernier n’est pas en reste. Il vient du théâtre et a jusqu’à présent surtout tourné pour la télévision pour laquelle il est aussi scénariste. Son interprétation d’Aftaab lui a déjà valu une série de récompenses en Inde et ailleurs. La prestation des seconds rôles ne détone pas. Kumud Mishra et Gopal Dutt qui jouent respectivement le vieux et le jeune terroriste sont eux aussi très bons.
De danse, de musique, enfin, il est beaucoup question dans Filmistaan puisque Sunny et son compère Aftaab connaissent par cœur toutes les mélodies, toutes les chorégraphies des films qu’ils adorent et qu’ils reprennent en chœur. Le travail discret d’Arjit Datta, n’en mérite que plus d’éloges. Sa musique accompagne et ponctue le film savamment, se faufilant dans l’action en parfaite harmonie avec les images. Il faut dire que celles-ci sont aussi d’une qualité remarquable. Subhransu Das, le directeur de la photographie, a su jouer avec les couleurs du désert, et il traite notamment les passages de l’ombre à la lumière avec une subtilité qui donne envie d’applaudir.
Pour conclure, sous ses dehors de farce, Filmistaan cache une belle leçon de tolérance, d’amitié et d’humanité. C’est aussi une élégante leçon de cinéma, réjouissante et généreuse, comme on aimerait en voir plus souvent. Puisse-t-il sortir sur les écrans français. Souhaitons que les distributeurs s’en emparent et qu’un public nombreux puisse le voir et s’en régaler comme nous avons été quelques-uns à le faire.